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Prostitution et relations hommes-femmes

Juin 2024




 

Ce post s’inscrit dans une série de réflexions sur les oppressions systémiques.

 

Je suis surprise quand je me retrouve encore face à des discours ou attitudes normalisant la prostitution. Des personnes autour de moi ne se cachent pas d’y avoir recours. En Thaïlande, j’ai été choquée par le nombre d’hommes qui achètent du sexe ou carrément une femme avec qui passer les vacances. J’avoue avoir eu honte de ma couleur de peau, face à ces jeunes thailandaises aux bras d'hommes blancs en apparence bien sous tout rapport. On m’a dit que malheureusement les occidentaux étaient loin d’être les seuls à « consommer » les femmes locales.

 

J’ai eu envie d’écrire à ce sujet, à un moment où je pense que beaucoup d’hommes se perdent dans des amalgames par rapport à la question du consentement. Oui une prostituée donne son accord, cela n’est donc pas du viol, mais cela en fait-il un acte moral qui respecte la dignité de la femme ? Le viol est-il l’unique limite ?

 

Pour moi la réponse est non. Après avoir précisé ce qu’est la prostitution, j’apporterai des éléments pour nourrir la réflexion à ce sujet.

 

La prostitution est la marchandisation du corps de la femme qui s’inscrit dans un contexte d’inégalité entre les sexes. En effet, cette marchandisation est genrée : elle concerne le corps des femmes, hormis exception, il n’y a pas de système organisé à aussi grande échelle pour exploiter le corps des hommes. La grande majorité des personnes qui se prostituent sont des femmes et des filles, et la majorité des proxénètes et acheteurs sont des hommes.

C’est une forme d’exploitation de la femme par l’homme, parfois institutionnalisée.

 

Je n’ai pas de chiffres mais il semblerait que la prostitution se soit accélérée depuis une trentaine d’années jusqu’à devenir une véritable industrie (c’est aussi le cas du porno, qui présente des similarités). On peut comprendre cette croissance si on considère aussi que par le passé, l’homme avait davantage le droit d’exiger ce qu’il désirait du corps de la femme, sans avoir à payer.


Je fais l’hypothèse que le déploiement capitaliste et matérialiste de nos sociétés a participé à cette marchandisation des corps féminins, plus vulnérables, car affectés par des siècles de domination masculine. L’autre frange vulnérable de la population qui en est victime sont les enfants, avec le développement intolérable de la pédocriminalité et pédopornographie. « Dans le contexte de la mondialisation et des nouvelles technologies de communication, des groupes liés au crime organisé recrutent, transportent et exploitent des millions de femmes et d’enfants à travers le monde » (CALACS-Laurentides).

 

Voici quelques données à considérer pour comprendre la problématique :  

-       80 % des personnes prostituées entrent dans la prostitution alors qu’elles sont mineures.

-       Les proxénètes utilisent toutes sortes de stratégies trompeuses, coercition pour recruter les filles et les femmes : mensonge, trahison et manipulation.

-       85 % des personnes qui se prostituent ont vécu des agressions sexuelles dans leur enfance.

-       70 à 90 % des femmes qui se prostituent ont subi de la violence physique de la part de leurs clients.

-       La majorité des proxénètes exercent de la violence envers les personnes prostituées.

-       La prostitution locale est indissociable de la traite nationale et internationale.

(Source: Regroupement québécois des CALACS)

 

Avec ceci en tête, je m’attarderai sur 2 arguments couramment entendus :

 

S’il n’y avait pas la prostitution, il y aurait beaucoup plus de viols et de violences faites aux femmes


C’est une manière de justifier à la base le comportement oppressif masculin, sans même en questionner la légitimité. C’est surtout une manière de l’imposer comme norme naturelle. L’homme doit avoir accès à la sexualité, c'est son droit ou sa nature, et si la prostitution n’est pas disponible en dernier recours, il passera par une autre voie, au prix de la persuasion ou de la violence. Beaucoup d’hommes (et de femmes) ont intériorisé ce diktat qui sert de justification à tous les abus et établit l’homme dans une position de pouvoir, de droit à asservir la sexualité féminine, consentie ou non, pour son propre profit, que cela soit monnayé ou pas.


Les prostituées ont choisi leur métier et certaines l’apprécient

 

Comme nous l’avons vu, 80 % des personnes entrent dans la prostitution alors qu’elles sont mineures. Elles sont ensuite prises dans un engrenage. Elles subissent des proxénètes toutes sortes de coercitions et violences. Pour certaines, la prostitution est le seul ou meilleur moyen au niveau économique pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, quitte à sacrifier leur corps et leur dignité (ce n’est pas pour rien que « pute » est une insulte). On voit qu’on est loin d’un « choix » en tant que tel.

 

Par ailleurs, certaines femmes peuvent avoir décidé de rejoindre l’industrie du sexe et exercer librement leurs activités, c’est-à-dire : choisir leurs clients, conserver leurs profits pour leur propre compte et être en mesure d’envisager une sortie du milieu si elles le souhaitent (si ces conditions ne sont pas remplies, nous ne sommes pas dans le cadre d’un exercice libre). Elles peuvent s’être construit une identité à travers leur métier et revendiquer ce choix. Mais cela est loin d’être une généralité.

D’autant plus, il faut prendre en compte comme nous l’avons vu que 85 % des personnes qui se prostituent auraient vécu des agressions sexuelles dans l'enfance. Or l’exposition précoce à la violence, surtout sexuelle a des répercussions importantes, qu’on ne devrait pas complètement dissocier de la prostitution. En effet, cette empreinte précoce crée une vulnérabilité chez la personne, la prédispose à se retrouver dans des situations d’abus, avec une difficulté à faire des choix sécures et une tendance à se déconnecter de son corps et de soi-même.

On peut comprendre que des personnes victimes de violences sexuelles dans l’enfance deviennent un profil de choix pour la prostitution, car elles n’ont pas forcément appris à établir des frontières sécures, une image de soi stable et positive, et elles ont surtout du avoir recours au mécanisme de dissociation qui les amènent à tolérer l'inacceptable, car elles ont appris à facilement "sortir" de leur corps pour ne pas ressentir et se protéger de l'effondrement.


Si l’on considère en plus de cela que les personnes impliquées dans la prostitution courent un risque important de subir de la violence physique de la part de leurs clients (70 à 90% d’entre elles), on comprend la charge traumatique importante qui est la leur, qui peut être à la fois la cause de la prostitution mais aussi la raison de son maintien…

La personne qui dans la majorité des cas, a été agressée dans son enfance et une partie de sa vie, et qui décide de vendre son corps comme moyen de subsistance a-t elle vraiment choisi cette activité…?  

 

Certains diront que c’est un problème politique. Soit, on peut légitimement critiquer les politiques, mais au final pourquoi la prostitution perdure-t-elle ?

 

Parce qu’il y a une demande.

 

L’issue est donc entre les mains des « consommateurs ». Il est utile en tant que société de réfléchir à ce qui amène un homme à envisager que le sexe puisse être un bien de consommation et la femme une pourvoyeuse d’orgasme. Ceci est bien sur en lien avec une longue tradition patriarcale qui a assigné la femme à une place spécifique.  J’ai entendu certains hommes me dire qu’ils n’avaient rien à se reprocher car ils étaient « gentils » avec les femmes qu’ils payaient (« pas comme les autres »).

 

Pour les hommes qui lisent cet article et sont concernés : mes propos n’ont pas pour intention de juger mais de proposer un éclairage sur la réalité. Notre monde régenté par le marché de l’offre et de la demande nous a amenée à banaliser la dignité humaine au profit de la satisfaction immédiate des désirs, ou tout, même les humains, deviennent des biens monnayables. Il y a aussi beaucoup d’isolement et de déconnexion dans les sociétés modernes individualistes, je trouve regrettable que la solution à cette solitude soit recherchée dans l’exploitation du corps des femmes. Il y a d’autres manières de recréer du lien, de la proximité ou du plaisir…qu’en achetant de l’intimité et en utilisant le corps de la femme comme exutoire à la pulsion.

 

Cet écrit se veut un plaidoyer pour les femmes victimes de prostitution, qu’elles aient ou non « choisi » cette activité. Les mémoires traumatiques qu’elles portent peuvent être déchargées, petit à petit, et les différentes parts d’elles-même restaurées, pour regagner leur SOUVERAINETÉ. Notre souveraineté féminine. Développer des chemins hors de la prostitution pour les femmes est le combat de toutes. Car tant que certaines d'entre nous sont encore exploitées, c’est notre féminité et nos droits à toutes qui sont bafoués.

 

Alors pour conclure, j’écrirais que oui, pour moi la prostitution relève de l’exploitation sexuelle des femmes et à ce titre, fait partie des nombreuses formes de violence sexuelle. Banaliser la prostitution, c’est banaliser l’inégalité hommes-femmes.

Je suis pour l’abolition de la prostitution.

C'est une forme de prédation de la femme, parfois légalement et socialement acceptée. Il en existe bien d’autres malheureusement. La prochaine dont je parlerais sera celle de la pornographie, ici aussi, beaucoup se retranchent derrière la question du consentement pour justifier l’objectalisation du corps des femmes.


On entend parfois dire que l’égalité homme-femme est atteinte, pourtant quand on regarde les faits, dans le monde, la réalité est tristement déconcertante.

Alors, ouvrons le débat, osons en parler autour de nous, échangeons, pour que ces questions puissent être travaillées, pour construire une nouvelle manière d’être en lien, de nous percevoir, non plus comme abuseur/abusé, bourreau/victime, mais hommes et femmes, ensemble, dans ce mouvement de restauration de la pleine dignité du féminin et du masculin.

 

 

 

Ressources

 

Avis « La prostitution : il est temps d’agir», Conseil du statut de la femme, 2012

Film L’imposture par Ève Lamont

 

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