top of page

Le gout des heures en ashram(s)


Ecrit pendant mon panchakarma à l’ashram Sivananda de Neyyar Dam en octobre 2019


Tiruvanamalai


Sivananda Yoga Vedanta Dhanwantari Ashram

5H20. La cloche me tire des rêves qui déjà s’effilochent.

Le son est couvert par le bruit de la pluie, ou plutôt le vacarme des trombes d’eau qui se déversent encore sur Kerala, bien que la mousson soit terminée. Le changement climatique se fait aussi sentir ici.

La protestation de mon corps et la perspective de me faire fouetter par la pluie battante ont raison de ma détermination. Et puis le docteur a dit, pas d’effort intense pendant le panchakarma...(cure ayurvédique de détoxification profonde)

Je retombe dans les limbes, rythmées par l’écho des chants dévotionnels et des tambours qui me parviennent du hall, tout près, où a lieu la cérémonie qui ouvre le début de cette journée.

2h plus tard, c’est mon réveil qui sonne. Mes yeux s’entrouvrent sur le dortoir, où j’ai maintenant de la compagnie, après une semaine en solo. Mes colocatrices, des quatres coins du monde, sont toutes comme moi en panchakarma. Nous avons notre propre dortoir pour respecter le besoin de repos pendant cette cure particulièrement éprouvante. Les discussions tournent autour de nos traitements, notre pratique, notre digestion et, souvent pour moi, de mes envies intempestives de pâtisseries ou du moins de prassad (offrandes sucrées qu’on distribue après les satsangs, cérémonies du soir et auquel nous n’avons pas droit…) et qui me mettent au supplice !



Sivananda Yoga Vedanta Dhanwantari Ashram


La déferlante ne s’est pas calmée, j’utilise mon tapis de yoga comme parapluie de fortune et me dirige à travers l’ashram vers le dining-hall des panchakarma. Le paysage est encore brumeux et les feuilles lustrées par les ondées. Tout ici est explosion de verdure dans cette vallée luxuriante. Tachant de ne pas glisser, j’arrive malgré tout trempée, au dining hall ou je prends mes décoctions de plantes amères après un verre d’eau chaude. Puis direction la clinique.

Aujourd’hui encore, je dois passer l’épreuve du verre d’huile à boire. Puis ma thérapeute Sindhu, une indienne au sourire et au doigté maternel me conduit dans ma cabine. Sur une table en bois massive, je m’allonge et elle commence à m’enduire le corps d’une huile odorante. Le massage n’a rien de relaxant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, je me transforme peu à peu en flaque d’huile et ne sais plus qui de mon corps ou mon coeur se répand.

Certains jours, j’ai droit à Shirodhara. D’un récipient suspendu au-dessus de ma tête s’écoule en continu un filet d’huile chaude, qui glisse le long de mon front et emplit mon cuir chevelu dans une étreinte épaisse que rien d’autre que l’huile à profusion ne peut procurer.

Un singe parmi les sages à l'Ashram de Sri Ramana Maharshi




Shantivanam

Le croassement des corbeaux accroche mes oreilles. Ils sont nombreux. Probablement autant que les divinités hindous qui peuplent l’ashram. Les couleurs tantôt éclatantes, tantôt austères des statues à leur effigie attirent le regard au détour des recoins, comme un rappel, car ici chaque instant nous interpelle, réclame notre dévotion. La présence de ces déités n’a rien de mythique, tant elle est tangible dans chaque passage. Tout au long de la journée, les mantras retentissent à leur évocation, les offrandes et les pujas à leurs intentions rythment l’organisation du jour (rites d’offrande et d’adoration).

Ce n’est pas l’invisible qui tourne autour de nous, c’est nous qui sommes des petits satellites de ce plus grand qui nous dépasse. Ce mystérieux, à la fois sauvage et protecteur, qui nous tire dans les abimes de nos cœurs, là où habitent ces entités qui ne sont autres que les forces profondes de nos âmes, tant obscures que lumineuses, car c’est bien là le défi de notre incarnation, dans cette dialectique constante entre le « noir » et le « blanc ».


Shantivanam




Arunachala, montagne sacrée

Assise sur la pierre brute du temple, polie par le temps et tous ceux qui avant moi se sont abandonnés à ce refuge, les heures de mes journées s’égrènent. Au rythme des lectures de sages indiens s’écoule le présent, émaillé par la visite de certains singes et quelques assoupissements salutaires sous les bas-reliefs auspicieux des épopées de la Bhagavad-Gita (partie centrale du poème épique Mahabharata). Le corps et l’esprit sont quotidiennement façonnés par la discipline du yoga (sivananda, qui fait appel à une séquence de postures bien définies) et par la méditation, qui comme une marée, vient ratisser, balayer, dévaster les plages impalpables de l’être.

Les rencontres et mots échangés, ici et là, ont aussi une saveur particulière, qu’on ne trouve que dans les ashrams ou dans les lieux où l’attention individuelle, d’ordinaire flottante et fantasque, est puissamment dirigée vers l’Eternel, c’est-à-dire l’Au dedans. Nous tournons tous autour de quelque chose et ce n’est pas nous même, pourtant c’est aussi puissamment Soi.

Quelle expérience différente de celle qu’on éprouve dans des environnements ou la dynamique gravite autour du « désir » personnel. Ici nous sommes portés collectivement par la vague du dévouement à l’Autre, ce qui veut dire le divin dans tous les autres, à travers le karma yoga (le service gratuit). On peut alors parfois vivre au détour d’un sourire, la grâce, évanescente, fuyante, qui s’effiloche entre les soubresauts de l’être qui peine à la retenir. Mais peu importe, on l’a gouté, une demi-seconde, et c’est la promesse qu’il y a autre chose…


Coucher de soleil des toits de Neyyar Dam

Les ashram(s)

Pendant la majeure partie de mon séjour en Inde, j’ai séjourné en ashram. C’était un vœu profond et ancien dont je me languissais de faire l’expérience pleine et entière. Cet appel me poursuivait, depuis le premier ashram où j’avais débarqué « par hasard » le jour de mes 22 ans, lors de mon premier voyage en Inde. C'était l'ashram de Sri Aurobindo à Pondicherry dans le Tamil Nadu. Je ne comprenais alors rien de ce lieu, mais je sentais un écho mystérieux en moi, encore incompréhensible et flou.


Shantivanam

Mon périple en Inde avait pour vocation de répondre à cette aspiration de faire l’expérience de la vie en ashram et d'en découvrir plusieurs : l’ashram Daiwantari des swamis Sivananda et Vishnudevananda, Amritapuri de Mata Amritanandamayi, l’ashram de Sri Ravi Shankar, Isha Yoga de Sadhguru, l’ashram chrétien Shantivanam d’Henri Lesaux et Bede Griffith, celui de Ramana Maharshi à Tiruvanamalai et encore d’autres moins connus.

Avant cela, j’avais déjà en France fréquenté de nombreux les lieux spirituels : des monastères bouddhistes, de la tradition tibétaine ou zen, Karma Migyur Ling, Mahamoudraling…l’ashram d’Hauteville d'Arnaud Desjardins, de nombreuses communautés chrétiennes, (catholiques ou orthodoxes) notamment la fraternité de Jerusalem du Mont St Michel ou Béthanie, d’autres plus œcuméniques, à la croisée des traditions, comme le centre Assise. Je ressens une grande gratitude pour ces lieux de pratique qui ont guidé mon chemin.



Ashram… ce mot peut sonner un peu barbare à nos oreilles. Aujourd’hui pour moi il a la mélodie du chemin fleuri, certes caillouteux, qui monte vers les sommets. Même si ses détours passent par les canyons les plus ardus…

Déjà à mes 22 ans, j’en avais perçu la douce utopie, dans ma quête assoiffée d’idéal. Un idéal rendu réel, qu’il faut nécessairement désidéaliser pour y vivre, car comme toute communauté humaine, un ashram est imparfait. Et pourtant certains d’entre eux ont cette potentialité à réveiller en nous des graines d’absolu qui y sommeillent. Ou plutôt, ces graines une fois disposées dans le bon terreau, germent d’elle-même, comme si tout en nous n’attendait que de retrouver la source pour jaillir.

Dans les ashrams, les pratiques différents, selon les maitres, les traditions, les cultures. Certains sont habités par la grâce d’un maitre vivant et d’autres par celle d’un guide qui a déjà quitté son corps. De multiples manière de faire mais un point commun : Tout est pratique.




Il ne s’agit pas d’aller à tous les satsangs, ou de bien chanter juste aux bhahjans, ou encore de réciter 108 malas sans divaguer. Il s’agit d’incarner notre humanité dans ce qu’elle a de plus royal : le bien, le beau, le bon. Etre cela. Nous ne sommes pas l’esprit, nous ne sommes pas le corps (I'm not the mind, I'm not the body"). Qu'est-ce que je suis alors? Découvrir ce que je suis vraiment. En pratiquant la Vie. Sans filtre. Pleinement. Pas seulement dans les rituels, mais dans chaque geste du quotidien, dans chaque pensée, chaque regard, chaque mot. Mais aussi dans chaque moment où nous oublions cela, chaque erreur et chaque imperfection. Chaque fois que nous loupons la cible (qui est le sens du mot péché).

S’entrainer à viser la cible, c'est cela pour moi l'expérience de l’ashram ; peut importe le nombre de fois où ma flèche passe à côté, mon regard reste rivé sur le Centre...


Isha Yoga Coimbatore



Vue au lointain d'Amritapuri

Comments


bottom of page