2019
Comme je vous l’ai raconté dans un article précèdent, je fais du volontariat chez des bédouins dans le désert du Wadi Rum au sud de la Jordanie.
Après une journée à travailler sans répit sur le site internet que je leur confectionne, j’ai les yeux qui brûlent et le rouge persistant de la tente est en train de taquiner mes nerfs. Notre hôte insiste « you have to finish » et je rouspète intérieurement… « because in 20 minutes, you are coming with us to a bedouin wedding » (dans 20 min, vous venez avez nous à un mariage bedouin). Oh, good to know ! et nous voilà quelques minutes plus tard sautant à l’arrière de la jeep…
Sitôt arrivée, on m’indique de suivre la mère de mon hôte car les festivités ne sont pas mixtes. Je rentre dans une espèce de terrain vague fermé, délimité par des murs de parpaings inachevés. Une tente est dressée et des tapis usés disposés en dessous. De nombreuses femmes et enfants se saluent, vont et viennent, au son bruyant de la sono. Ma « réfèrente » disparait rapidement et je ne la reverrai pas de la soirée. Je me dis que c’est peut-être la « honte » d’être avec une blanche. Je m’assoie par terre et observe cet univers inconnu aux codes qui me sont étranger.
Des coups de feu sont tirés, depuis le « camp » des hommes et je devine une tradition bédouine (plus que je ne l’espère !)
Une partie des femmes est voilée de noir, une autre porte des vêtements qui épousent leur forme (d’habitude invisibles), un maquillage suggestif et de long cheveux sauvage relâchés. Mais ici pas un seul homme pour y jeter un regard, seuls de très jeunes garçons font exception à cette foule féminine de tous âges, aux mines tantôt souriantes, tantôt renfrognées.
Que ce soit chez les femmes ou les enfants, la mode semble être à la chevelure « décoiffée », interminables cheveux fourchus qui ignorent le brossage. Les enfants et préadolescentes portent ce qui ressembleraient chez nous à des déguisements de princesse disney, leurs cheveux emmêlés tombant sur les fils argentés de leur tenue.
Je mets un peu de temps à identifier deux grandes chaises en plastique, sur un pied d’estale, décorés à la manière d’un trône, où se trouve la mariée. Robe blanche scintillante de diamants en plastique, qui a plus des allures de Cendrillon que de Jasmine, je ne sais pas pourquoi la référence disney s’impose à nouveau à moi. La connaissent-ils ? mondialisation oblige, je pense que oui, preuve en est de la robe à cerceaux à l’occidentale au milieu du désert. Je devine des chaussures aux talons interminables car la mariée est incapable de marcher sans le soutien de jeunes femmes qui tourbillonnent autour d’elle. Son maquillage compact donne l’impression que ses traits se sont figées.
J’imagine une hétérogénéité dans cette communauté, car lors de l’appel à la prière (dont le bruit est couvert par les hits bédouins), je vois seulement une partie des femmes, au milieu de la fête, déposer leur vêtement au sol pour s’incliner en direction de la Mecque.
Des personnes distribue des gaufrettes emballées et des sachets de pop-corn. Les bébés sont mis par terre sur des couvertures. Les petites et jeunes filles occupent peu à peu l’espace central pour danser, dans des mouvements de hanches et de poignets qui pour le coup me rappelle davantage Esmeralda que la valse de la belle et la bête.
Le temps s’étire dans cette ambiance où je suis soigneusement ignorée ce qui me convient bien. Les enfants font exceptions, certains venant me demander mon nom, et pour les plus entreprenants, risquer un « I lov’ yu ».
Tout à coup, dans un bruit de fracas, je vois débarquer un énorme 4x4 dans l’espace des femmes. Un homme qui porte un gilet d’arme en descend. Les femmes lancent leurs youyous à plein poumons. Plusieurs se présentent à lui, qu’il embrasse sur le front. Je devine le frère de la mariée, seul homme avec le père et le mari, qui a le droit de voir sa sœur dévoilée, me semble-t-il. Il recouvre complètement la tête de celle-ci et la conduit vers la jeep. La démarche maladroite de la jeune femme, que lui octroie probablement ses échasses inconfortables, lui donne une allure de princesse perdue. Quand la jeep emporte la jeune mariée, la fête continue comme si rien ne s’était passé Je ne saurais pas où la jeune femme est emmenée.
Les danses et la musique se poursuivent. De là où je suis, je vois un homme qui apparait au portail, se gardant bien d’entrer, et qui semble être en train de décharger de grands plateaux. En quelques instants, des dizaines de femmes accourt pour étirer une toile de tente bariolée et lui cacher la vue du terrain vague. Quand un moment plus tard, elle retire le paravent de fortune, je découvre des dizaines de plats recouverts au sol, que des nuées de femmes viennent chercher et répartissent un peu partout sur le sol du terrain vague. On me fait signe de m’approcher de l’un d’eux. Une montagne de riz couronné de larges morceaux de poulet.
Assises en cercle, les femmes entament le monticule en plongeant à pleine mains dans le plat, certaines faisant des boulettes qu’elles fourrent dans la bouche des enfants. La pénombre cache à peine les restent qui tombent au sol, sur les tapis élimés aux couleurs fanées. Certaines femmes sortent de leur sac du papier d’alu, qu’elles remplissent comme pour se préparer un petit en-cas. Une autre ici distribue des lingettes monsieur propre à qui veut.
Mes mains sont encore collantes de riz quand on m’interpelle « you speak english, go ». On me fait comprendre que je dois partir, en me poussant vers le portail. On me fait monter dans un 4x4 dont je ne sais pas qui le conduit ni où. Je cherche des explications mais personne ne me comprend et je ne comprends personne…On ne me laisse pas le choix. La jeep démarre dans le noir, bondée. Je me demande ou on m’emmène, mon cœur bat plus fort que d’habitude. J’essuie mes mains toujours poisseuses sur ma tunique. Les routes qu’emprunte la jeep sont plongées dans l’obscurité, sinueuses, je ne reconnais pas le chemin. L’éclat d’un unique réverbère éclaire le visage d’une petite fille assise à côté de moi qui me regarde avec curiosité, un demi-sourire aux lèvres. La jeep s’immobilise dans le sable et tout le monde en descend. Quand j’ouvre ma portière, on me la referme et la jeep redémarre. J’écoute ma respiration et regarde le ciel, où les étoiles sont allumées. Y en a-t-il une qui veille sur moi ? Au bout d’un certain temps, le 4x4 s’immobilise. Je regarde au dehors et reconnait la porte de la tente rouge, mon QG de fortune.
NB : cet article n’aura pas d’autres image que celles transmises par les mots car je me suis gardée de faire des photos lors de cette escapade, pour respecter l’intimité de cette communauté qui a eu la gentillesse de m’accueillir parmi elle.
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